dimanche, octobre 15, 2006

I only hurt the ones I love

Pratiquement 16h30. La cloche n'allait pas tarder à sonner, pour me (nous) libérer des entrailles de cet établissement-pieuvre qui nous engloutissait et nous revomissait chaque jour. Comment aimer le lycée, à à peine seize ans ? Comment comprendre qu'on veuille nous enfermer du matin au soir, en nous disant quoi faire, quoi penser ? Non, je n'aimais pas le lycée. Et ce jour-là, alors que la délivrance approchait, je ne l'aimais pas plus.
Huit cents élèves courent vers la sortie. Je ne me presse pas. Nul besoin d'aller vite, après tout, j'ai toute la soirée devant moi à présent. Et tout le week-end. Un week-end qui va commencer sur les chapeaux de roue dans quelques heures, pensé-je alors. Une soirée entre filles, avec deux bouteilles de vodka et une martini. Vivement.
Le bus qui me dépose chez moi n'a pas la même odeur que d'habitude. Cette fois, il sent comme le commencement d'une nouvelle vie, peut-être à cause de l'odeur de tabac froid de mon voisin de gauche. Je me fiche que cela ne soit que ça. Je sais très bien ce que ça évoque en moi, ce que ça rappelle, ce que ça réveille. J'imagine déjà ce que je vais vivre, le nombre de verres qui me feront m'évader. L'impatience des quelques heures qui me restent à tuer me ronge.
21h. Les canapés sont tirés, les volets aussi. Fébrile, je remets un peu de rimmel. Je ne suis pas jolie mais ce n'est pas grave. Après tout, elles ne me verront pas, elles ne verront que le reflet de leurs fantasmes éthyliques. Et puis elles non plus ne sont pas forcément jolies. A vrai dire, ça n'a même plus d'importance.
M. arrive la première. Complicité d'années de collège et de lycée vécues ensemble. Je crois qu'elle fera à jamais partie de ma vie. J'y crois fort sur l'instant, vraiment fort. J'ignore encore la suite des événements mais je pense pouvoir lui faire confiance, la croire, la soutenir, être son amie la plus proche. J'y crois comme une adolescente encore un peu fleur bleue, qui échangerait son sang avec celui de sa meilleure amie, mais je n'ose pas le dire, j'aurais un peu honte de tout ça. Mes pensées, je ne les dévoile pas toujours. Elles ne regardent que moi et puis je ne sais pas bien encore les analyser.
Lorsque deux autres amies arrivent (nous ne seront que quatre ce soir-là), j'ai déjà vidé trois verres de Martini, et M. trois verres de vodka. Nous ne sommes pas ivres, juste pompettes. Bien évidemment, les deux retardataires ne tardent pas à nous suivre, et nous continuons de boire, alternant quelques passages à l'extérieur pour fumer quelques cigarettes dont nous détestons le goût, mais qui font remonter l'alcool directement à notre cerveau pourtant déjà bien embrumé.
Tout bascule lorsque nous regardons le concert d'un groupe de rock quelconque. J'ai oublié le nom depuis bien longtemps, mais je crois me souvenir que je l'adorais vraiment à cette époque. Affalées et ivres, une bouteille à la main, nous chantons (faux) les hymnes que nous connaissons par coeur. Le chanteur est un bel androgyne qui nous plaît à toutes. Mine de rien, l'excitation monte. Jusqu'à ce que M., portée par un élan d'ivrogne, m'embrasse sur la bouche.
Je ne réagis même pas. Je peux juste ouvrir ma bouche et lui laisser le soin de s'occuper de ma langue. Je ne sais absolument pas ce qui se passe mais l'alcool me permet de m'en moquer complètement. J'arrive tout juste à me relever quelque peu pour débarasser son corps de son tee-shirt.
Le reste m'apparaît par flashes. J'ai pratiquement tout oublié. Je me souviens de ses cheveux bruns, vraiment foncés, de leur odeur si excitante. Je me souviens d'une peau douce. D'un sexe rasé avec l'expérience d'une adolescente encore vierge. Je ne sais pas où ont disparu les deux autres, sans doute à vomir dans les toilettes ou dans la salle de bains. Ma première expérience sexuelle a eu lieu un soir de cuite, et je ne m'en souviens pas. Ou si peu.
Le réveil du lendemain est rude. Programmé à temps pour nous permettre de ranger et de nettoyer un peu l'endroit en question. Je me lève la première, regarde M. qui dort (comate) encore. Une étrange sensation se diffuse en moi. Une attraction terrible, de même qu'une sorte de dégoût.
Entendons-nous bien : elle était assez jolie. Pas une bombe, non. Une fille normale de seize ans, agréable à regarder, mais n'éveillant pas nécessairement le désir ou l'amour. Pourtant, après notre expérience que j'imagine sexuelle, je ne pense qu'à une chose : la posséder. En même temps que j'ai envie de la voir s'éloigner de moi, souffrir, partir. Partir parce que les quelques images dont je me souviens me montrent un corps proche du mien, si proche du mien, mais étant malgré tout l'enveloppe d'un être mille fois meilleur. Il y a comme une concurrence qui s'installe dans mon esprit. Complètement insecure, je l'imagine déjà me laissant tomber pour le premier homme qui s'intéressera à elle. J'imagine tout ce qu'elle pourrait m'apporter et dont elle me spolierait, juste parce qu'elle en a le pouvoir. Je sais qu'elle pourra s'évader, vivre un véritable amour, un amour qu'elle avouera. Le nôtre (mais était-ce même de l'amour ?), elle ne l'aurait jamais avoué, reconnu.
Je vois déjà nos journées au lycée. Le masque de l'amitié. Et puis les câlins au lit, loin des regards. Je n'ai pas envie d'annoncer ça, de l'officialiser, mais quelque part, l'idée qu'elle non plus ne le souhaite pas me dérange. Je sais très bien ce qu'il me reste à faire. J'ai envie d'elle mais j'ai tellement peur qu'on me compare à elle que je préfère tout couper.
Je laisse un mot prétendant une absence un peu longue. Je me cache dans une pièce de la maison qu'elle n'explorera pas. Et quand elle part enfin, un peu désemparée j'imagine, je m'empresse de lui envoyer un mail lui expliquant que je regrettais tout et que je ne voulais plus la voir. J'invente des raisons, des milliers de raisons, qu'elle ne pourra pas réfuter car elle a peur elle aussi de ce qu'on a vécu. Et puis j'efface son adresse mail, son numéro de téléphone.
Nous ne sommes plus que des étrangères. Je l'ignore au lycée, comme elle le fait. Plus jamais je ne la reverrais. Plus jamais je ne lui parlerais de tout me concernant. Elle restera un souvenir bref et agréable, mais sans regret.
Sans regret. Je me répète jour et nuit que je n'ai pas de regret. Et jour et nuit son visage brun me hante. J'essaie de réprimer cette petite phrase qui s'insinue en moi, me fait peur, me fait mal. "J'ai tout gâché". Mais non. Elle aurait pu revenir, discuter. Elle ne l'a pas fait. C'est sa faute. Voilà ce que j'ose me dire, ignorant délibérément le mal que je lui ai fait. Le mal que je me suis fait. Simplement parce que j'avais peur d'être si proche d'elle... Je ne sais pas si on aurait pu s'aimer, devenir un couple. Je n'ai jamais avoué qu'entre elle et moi ça a été de l'amour. Pourtant quand j'y repense... la jalousie, les rires, la complicité, l'apaisement à ses côtés. Je préfère croire que j'ai eu raison, parce que maintenant je suis mariée, j'ai des enfants. Elle n'aurait pas eu sa place dans ma vie. Et j'essaie de ne pas croire que je l'ai ratée, cette vie.

7 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Très joli, très joli résumé du sentiment de remords, ou de regrets, je ne sais pas. Ton héroïne (tu ?) ne le saura sans doutes jamais non plus, dommage...
Ps : Le bel androgyne en question a un petit nom qui ne me serait pas inconnu je parie :D

5:45 AM  
Blogger Tristana said...

Comment as-tu deviné, pour le petit androgyne ? :D

10:39 AM  
Anonymous Anonyme said...

Magnifique...
C'est toujours un bonheur d'arriver ici et de découvrire un nouveau texte.
J'attends le prochain avec impatience.

3:42 PM  
Anonymous Anonyme said...

Très beau texte, comme toujours...
Le p'tit androgyne me dit quelque chose également... :D
Bonne continuation, c'est toujours un plaisir de te lire!

12:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

T'écris drôlement bien ;)

8:13 AM  
Anonymous Anonyme said...

J'aime tout simplement ta façon d'écrire...
Et quand, je découvre un nouveau texte, c'est un véritable plaisir. Félicitations...

1:47 AM  
Anonymous Anonyme said...

Si toi tu as eu raison, alors moi j'ai eu et j'ai encore totalement tort ^_^.
Mon histoire ressemble beaucoup à la tienne, mais ce n'était pas le joli chanteur androgyne qui nous accompagnait, mais une certaine jolie chanteuse toute rousse :p.
En tout cas, si ta vie actuelle te convient, c'est que tu n'as rien à regretter ;). Moi j'ai bien trop peur des remords [et jusque là ça m'a plutot bien reussis ;)]

Je l'aime beaucoup cette note !

5:24 PM  

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