dimanche, février 04, 2007

The show is over, say goodbye


Qu'est-ce qu'on devient à la fin, quand ça n'est plus qu'un jeu ? Quand ça dépasse les limites qu'on s'était fixées, quand ça devient enfin réel, véritable - dangereux ? On essaie de se raccrocher aux branches.
Tombée là par hasard. Jamais cru en rien. Jamais réussi à me dire que ça valait le coup. J'ai cherché à annihiler toute forme de pensée, de toutes les manières possibles. Ma préférée, c'était quand même le sexe. Pas de dépendance, juste du plaisir, et puis jamais le même. La cocaïne ou l'ecstasy, c'est franchement rébarbatif à côté d'un orgasme obtenu par l'intermédiaire d'une personne différente à chaque fois.
L'insouciance. L'envie de mordre dans la vie à pleines dents. Si ça doit être court, merdique, au moins que j'en profite. Un peu. Peut-être aurais-je dû écouter les avis plus avisés. Comprendre ce qu'on voulait me dire, à demi-mots. Jamais de leçon de morale, juste des leçons de bon sens, que j'ai refusées d'écouter, sans doute par prétention. Trop jeune encore, trop adolescente, j'ai cru qu'un conseil, c'était du conformisme. J'ai eu tellement tort.
En vouloir toujours plus. S'étourdir à chaque fois que cela devenait possible. Lorgner chaque corps qui passait à ma portée. J'étais totalement sûre de moi, sûre de l'essentiel qui découlait du plaisir de l'orgasme. Sûre que je m'épanouirais de cette manière-là et pas autrement. J'en ai vu défiler, des hommes, des femmes. Différents, identiques, peu m'importait. Again & again. J'ai cru à mon immortalité, comme chaque être qui grandit, qui se dit que l'âge adulte est loin, et qu'on ne peut pas mourir de toute manière parce qu'on espère trop devenir grand.
Confondre insouciance et inconscience. J'ai pensé qu'agir sans réfléchir, bêtement, sans aucune réflexion préalable, c'était la liberté. Je n'avais pas compris qu'au contraire, je créais ma propre raison d'inconscience, de bêtise, de crime et de châtiment. Car je dois bien avoir commis un crime, pour être punie de la sorte : celui de m'être crue plus forte que tout, tellement vivante que la mort n'oserait jamais me frôler. Mon crime est prométhéen : les dieux ne pardonnent jamais l'hybris. Je le savais pourtant, mais je me suis crue hors de leur portée. Orgueil et préjugés, tous réunis.
Alors voilà, mourir pour, par et grâce à tout ça, ce n'est qu'une suite logique, ce n'est que justice. Aimer le plaisir jusqu'à en crever, peut-être cette définition me correspond-elle. Je ne peux pas dire que je ne l'ai pas cherché, que c'est injuste, que c'est dégueulasse. Tout ça est tellement normal. Et banal. Une de plus, perdue dans la masse immense de ces gens punis pour leurs péchés, punis pour tout et rien, pour leur accoutumance au désir ou à n'importe quelle autre chose rendant le quotidien plus supportable. Mon cas n'a rien de particulier, et je l'accepte comme tel. Je n'ai plus qu'à faire le deuil de mon existence passée, et de mon existence à venir qui ne sera pas bien longue. Et enfin je m'en irai, bercée de tragédie grecque. Au fond, j'aurais adoré être Electre.

dimanche, janvier 28, 2007

Frozen


Tu mets tes chaussures, délicatement. Délicatement pour tes pieds délicats. Tu fais bien attention à ne pas filer tes bas. Il faut que tu sois belle, désirable, encore une fois. Encore une fois. Mais pas pour moi, plus pour moi, tu m'as depuis longtemps oublié. Tu me regardes, je suis dans l'encadrure de la porte. Tu as ce petit sourire qui signifie que je suis idiot d'y croire encore. Mais tu te trompes. Je n'y crois plus. Je me délecte juste des derniers instants, de te voir toute neuve, comme au début. De te voir te dire que tu vas aller rencontrer le prince charmant, charmé de quoi on ne sait pas, peut-être de ton parfum que tu achètes si cher. Tu n'as pourtant pas la classe suffisante pour porter les parfums orientaux de Guerlain, mais tout ça t'importe peu. N'importe quel plouc se fait prendre au piège - moi le premier.
Je ne m'en veux pas. Je ne t'en veux pas non plus. Tu ne pouvais pas me dire, m'avouer ce que tu ne sais toujours pas : tu n'es qu'un morceau de glace malgré ton apparence de chair et de sang. Je n'aime pas les niaiseries. Mais il faut bien l'avouer, tu as un coeur de pierre. Rien ne t'atteint, ne te transperce. Tu clignes à peine de l'oeil quand on t'annonce la mort d'un proche ; et je ne parle même pas de ce rictus moqueur que tu as quand tu vois quelqu'un de triste à tes côtés. J'ai longtemps cru à une façade (quel romantique - disons romanesque - je fais). On nous abreuve de bêtises, de femmes fragiles et tristes qui se cachent derrière l'insensibilité pour ne pas se faire du mal. Je t'ai crue de celles-là, toi petit bout de femme, 1m59 en chaussettes (Lolita n'est pas plus charmante), avec ton visage de poupée. J'avais envie de te protéger. Je n'ai pas pensé à me protéger moi (cliché ? mmh oui).
Je vais jouer la carte de nostalgie, juste pour pouvoir tourner la page. Juste me rappeler comment j'ai mordu à l'hameçon de ton corps. Car au fond, reconnais-le, ça n'a été qu'une banale histoire corporelle, sensuelle et sans suite. L'ironie a été que je croie te posséder quand même mon sexe ne te donnait aucun plaisir. Qui aurait pu deviner... tu feins si bien, mon amour. Ta jupe si courte qui laissait entrevoir la naissance de tes fesses à chaque pas (ça me ferait bander si je ne savais pas à quel point tu es gelée), le wonderbra provocateur. De la musique de merde, une boîte de merde, de l'alcool de merde dans les veines. J'ai cru que c'était romantique quand c'était pathétique. Cheveux bouclés, tu t'es approchée, tu ne sentais pas trop la sueur alors j'ai cru que tu embaumais. Au bout de quelques minutes de rentre-dedans très subtil (tu étais sur un seul de mes genoux, pas sur les deux, c'est plus classe), j'ai fini par t'embrasser, et je ne peux pas nier que ça a été agréable. Agréable car s'il y a une seule chose que tu saches faire de ton corps, c'est bien ça : embrasser. Là, tu sais être douce, tendre, sauvage aussi. Bref, bonne !
C'est toi qui m'as ramené chez toi. J'aurais dû sentir l'arnaque, normalement une demoiselle va chez son damoiseau, pas l'inverse. Je ne sais pas combien de fois on a baisé, pas tant que ça finalement, j'étais trop ivre. Et tu ne t'es pas donné grand mal non plus. J'ai mis ça sur le compte de l'alcool.
La grande déclaration le lendemain. A défaut d'être bonne tout court, tu es bonne actrice, je le reconnais. J'y ai cru, et puis avouons-le, j'avais très envie aussi de me coller à toi, à ta chaleur, à ton corps, à ta vie qui avait l'air si simple et agréable. C'était très (trop ?) facile, toi et moi, ensemble et puis pourquoi pas des enfants, un mariage, tout ça. Je ne suis pas un mec qui cherche à se caser. Mais quand une jolie nana se présente, je ne vais pas refuser. Surtout quand elle prétend que je suis l'homme idéal (d'accord, j'enjolive, tu n'as pas dit ça mon amour, tu as dit d'autres trucs qui sont je crois tellement personnels pour moi que j'ai aucune envie de les répéter ici). Alors voilà, colocation, baise à couilles rabattues, plateau-télé devant des émissions merdiques, "notre" chanson, soirées avec d'autres couples... tout aurait pu bien se passer, tu crois pas ? C'était bien parti, quand même.
Il y avait quand même un truc qui me chagrinait. On avait beau faire l'amour tout le temps, sous n'importe quel prétexte, n'importe où, je trouvais pas ça génial. Non, vraiment pas génial. Un peu comme une branlette : ça soulage mais sans plus. Je ne comprenais pas bien, tu semblais pourtant aux anges, tu criais beaucoup (mon égo de mâle y croyait, c'était pourtant tellement cliché et surjoué !). Jusqu'à ce que je rentre ce jour-là, pour te voir baiser avec un autre. Je vous ai épiés, tout le temps que ça a duré (une petite demi-heure). Il se défonçait comme une bête sur toi, toi qui bien sûr criais. Mais voilà, tu n'étais pas face à lui, et moi je voyais ton visage. Et il n'y avait rien dans ton expression qui dévoilait le plaisir que tu prenais. Seuls tes cris feignaient l'orgasme qui, visiblement, ne venait pas, et n'est pas venu. Tu as fait mine d'être totalement chamboulée quand, après qu'il a joui, il t'a prise dans ses bras, mais je savais bien. Tu avais même une mine dégoûtée quand il a explosé, et tu t'es dépêchée qu'il se retire pour ne plus le sentir en toi.
Au fond, ce qui m'a choquée, c'est pas que tu couches avec lui, mais bien que tu ne jouisses pas, que tu ne ressentes rien. Je me suis posé la question longtemps, je n'ai pas osé t'en parler. "Elle joue avec moi ou pas ?" Mais bien sûr, ça a fini par être évident. Tu t'es lassée de jouer ce jeu. J'ai pu voir l'ennui sur ton visage quand je te pénétrais, l'ennui quand je touchais tes seins, l'ennui quand je passais ma langue sur ton sexe. Froide comme la mort, malgré les cris (qui devenaient moins convaincants). Quand je t'en ai parlé, tu as paru soulagée. Tu as reconnu n'avoir jamais joui avec moi. Et tu m'as dit que tu aimais le couillon que j'avais vu avec toi dans notre propre chambre, qu'avec lui tu avais orgasmes sur orgasmes. Je ne te l'ai pas dit, mais je savais que c'était complètement faux. Tu as prétexté l'aimer pour qu'on se sépare. Je n'attendais que ça, moi aussi. Je n'aime pas les poupées glacées.
Alors, quand je te vois comme ça, si pressée, si contente de te parer de ta vulgarité pour aller allumer un pauvre type comme moi, j'ai envie de rire presque. Tout ce jeu autour du sexe, alors que tu n'aimes pas ça... tu deviens un objet sans vie que les hommes touchent pour se soulager. Je ne vois pas ce que tu en retires (sans mauvais jeu de mot). Ce que tu peux y trouver. Ce qui peut te plaire lorsqu'un corps se frotte au tien, alors que tu n'as jamais connu le plaisir. Je sais que tes apparats, tes conquêtes sont ta seule raison de vivre. Alors je ne vais pas faire de scandale, je ne vais pas t'insulter, je ne vais pas exiger d'explications. Là, tu es dans ton monde, tu es protégée. Comme une bonne demoiselle, tu te fais être de chair et de sens pour plaire aux mâles... alors qu'au fond, tout n'est que glaçon. Tu ne ressens rien, tu ne jouis pas. Mais j'ai tort de te faire ce procès-là. Tu n'y peux rien. Et puis ton corps est agréable à toucher et à regarder, les hommes auraient tort de ne pas en tirer profit.
Je ne peux pas m'empêcher de penser que j'aurais aimé être celui qui t'aurait faite jouir pour la première fois. Peut-être est-ce mon échec plutôt que ta frigidité qui m'emmerde. Dans les deux cas, nous sommes perdants. Tant pis...

jeudi, décembre 21, 2006

Beauty's where you find it


La beauté, s'accorde-t-on souvent à dire, est une notion subjective. Il faudrait être fou pour nier cette affirmation. Pour ma part, j'en conviens encore plus qu'il est évident qu'objectivement, je ne suis pas une jolie fille. Je ne sais pas si on peut aller jusqu'à me juger laide... peut-être pour certains, oui, et ma foi je ne les en blâme pas. Jamais je n'ai pu supporter ce que me renvoyait le miroir. Je me suis toute ma vie forgé une opinion de moi plus que haute, et la déception a été immense lorsque j'ai enfin bien regardé le miroir en face de moi. Quoi ! j'ai toujours déambulé comme une reine, alors que je ne ressemble qu'à une fille ultra banale, aux cheveux ternes, trop fins, parfois gras ; avec des yeux trop petits, dont la couleur est d'un marron à pleurer ; avec un corps informe, bien loin des canons que laisse entrevoir la petite lucarne de la télé... J'étais attérée mais j'ai vite pris le plis. Pas jolie, tant pis. Je reste dans mon coin, on ne me voit pas, et j'ai fini je crois par y trouver des avantages.
D'ailleurs, le plus grand avantage à ma position de fille un peu moche et commune, c'est que je peux tout observer sans que l'on fasse attention à moi. Je peux me ranger dans un coin de pièce et regarder évoluer les autres, les beaux, les pas beaux (qui attirent plus que moi car ils ont au moins une particularité, celle de ne pas être beaux, alors que moi je n'en ai aucune qui puisse me différencier), les voir s'aimer, se détester, se déchirer, se rassembler. J'en suis exclue mais quelque part, tout ce spectacle est pour moi. C'est une évidence : si l'on m'a faite aussi terne, c'est pour pouvoir profiter de la beauté du spectacle des autres. Leurs mascarades n'auraient aucun sens sans mon regard.
Mais je crois que tout ce que j'ai pu observer jusqu'à ce jour n'a été, au fond, qu'un préambule. Un exercice. Une façon de me dire : regarde bien, apprends à voir, à ne rien laisser passer. C'est ce que j'ai fait, des années durant. Jusqu'au jour où j'ai pu être embauchée par une compagnie de théâtre comme habilleuse et maquilleuse (n'étant pas riches, il leur fallait quelqu'un capable d'assumer ces deux statuts, ce que bien sûr je fais à merveille vu ma position de voyeuse). La compagnie en elle-même n'a pas grand intérêt : ils jouaient leurs propres textes, souvent médiocres, pseudo-tragiques, sans aucune réelle conviction. Mais je faisais semblant d'y croire lorsqu'on m'interrogeait (ce qui n'arrivait que très rarement, vous vous en doutez), histoire de continuer à les observer - à l'observer.
Car bien sûr, il a fallu que je la rencontre. Mon opposé. Il y a l'amour, et la haine ; il y a le bien, et le mal ; il y a le blanc, et le noir ; et il y a elle, et moi. Elle était tout ce que je n'étais pas : belle, différente, attirante, voyante presque. On ne pouvait pas la rater, même dans la rue. Quelque chose en elle attirait le regard. Etait-ce sa beauté ? Sans doute mais je crois qu'il n'y avait pas que ça. Elle était faite pour être regardée, admirée, voilà tout. Sa stature (presque la hauteur d'un mannequin), ses épaules rondes, ses seins volumineux toujours mis en avant (même quand elle voulait les cacher), les courbes de son corps (trop courbées pour être honnêtes), la finesse de son visage... tout appelait le regard. Et moi j'étais fascinée. Sofia (puisque c'était son nom) était la personne pour laquelle j'avais toujours été entraînée à regarder, à scruter. Je la regardais deux minutes, et c'était plus passionnant qu'observer pendant des heures les autres beautés que j'avais pu croiser. Elle avait un côté si doux, et puis si dur en même temps... Il était juste impossible de ne pas la remarquer, impossible de ne pas être sous le charme.
Je crois que ce que j'ai adoré par-dessus tout, c'était l'habiller. La maquiller, non : elle était trop elle au naturel pour que je puisse apprécier dénaturer ce qu'elle était avec mes produits. Par contre, l'habiller était un grand moment. Elle portait souvent des corsets, car elle estimait qu'une vraie actrice de théâtre doit être mince (mais ça entravait bien sûr son jeu et ses capacités respiratoires... malgré toutes ses qualités, ce n'était vraiment pas une grande artiste), et je l'aidais à enfiler les robes qu'on m'apportait (souvent des costumes d'époque, pour donner l'illusion d'un vrai théâtre), souvent compliquées, qui la corsetaient d'autant plus. Il y avait quelque chose d'émouvant dans la fabrication de son personnage : elle y croyait beaucoup malgré ses maigres talents, et c'était toujours très solennellement qu'elle me laissait attacher les noeuds qui lui serraient la taille. Elle ne m'adressait pas un mot, à moins qu'il soit nécessaire, et se regardait constamment dans un miroir. Avait-elle conscience de sa beauté ? Bien sûr. Une conscience aiguë de ses qualités la rendait, disait-on, assez imbuvable. Je m'en moquais : j'aimais à l'observer, non pas à l'écouter parler. Sa peau était toujours très chaude (et très douce), et elle frissonnait à chaque contact des mes mains froides. Je m'en excusais, et elle ne répondait pas. Le meilleur moment, c'est incontestablement celui où elle devait relever ses longs cheveux noirs pour me laisser fermer un col : l'odeur de sa peau et de ses cheveux s'exhalait toute entière avec ce mouvement, et j'aurais pu rester des heures à sentir ce mélange de noix de coco industrielle (elle sortait de la douche) et de discrète fleur d'oranger. Son odeur naturelle ne disparaissait bien sûr pas, et avec ses produits de douche, l'ensemble formait une odeur qu'à l'image de Süskind, j'aimerais savoir retranscrire avec des mots (ou à l'image de Grenouille, réussir à enfermer dans une petite bouteille de verre). C'était bien sûr toujours trop court, et déjà elle relâchait ses cheveux, et se dépêchait d'aller en coulisses pour se tenir prête à son entrée en scène.
Un souvenir de cette époque me poursuit sans relâche depuis lors. Un soir, je ne sais plus lequel, ce devait être un vendredi ou un samedi soir, il faisait encore très chaud (malheureux été indien), je m'apprêtais à entrer dans sa loge pour lui amener sa nouvelle robe de princesse, rouge et or (robe ridicule, au passage). Je poussai la porte, et la vis, assise devant son miroir, avec à ses côtés un homme que je connaissais de vue : un certain producteur qui, disait-on, pourrait aider les acteurs de la troupe à jouer dans un prochain film à succès. Il n'était pas beau, mais quelque chose en lui le rendait attirant, pas sexuellement mais humainement, dirais-je. Ils étaient là, à discuter. Sofia avait constamment les yeux baissés, attitude hautement surjouée pour feindre l'émotion. Je compris rapidement ce qu'il en était : le producteur (je crus comprendre qu'il se nommait Charles) voulait coucher avec Sofia, et cette dernière se refusait quelques temps pour la forme, car il était clair dans sa façon de tenir qu'elle allait accepter. Les mots étaient doux et enrobés de miel, pour cacher une vérité bien plus crue et moins romantique. Ma curiosité et mon vice de voyeuse me poussèrent à les observer dans ce jeu pseudo amoureux. Sofia était en robe de chambre, et en dessous elle n'avait que son corset et ses sous-vêtements. La conversation avançait, et elle laissait petit à petit s'entrouvrir la robe de chambre, dévoilant d'abord ses jambes nues (et quelles jambes), puis ses épaules. Charles alors n'y tint plus, et retira le tissu de fausse soie mauve qui l'empêchait de jouir du spectacle du corps à moitié nu de la belle. Elle minaudait encore lorsqu'il la poussa contre un mur pour l'embrasser (tout en défaisant du coin de l'oeil les lacets du corset noir). Sofia n'était plus qu'une (mauvaise) actrice : regards appuyés, souffle brûlant, gémissements de plaisir... et moi, derrière ma porte, j'étais attérée. Je la savais mauvaise actrice, je la savais ambitieuse, mais je l'estimais tout de même plus qu'une vulgaire actrice porno ! Or le spectacle qu'elle donnait était pathétique, et cruel à la fois. Cruel car je ne pouvais nier la vérité qui me frappait : Sofia ne réussirait jamais dans le cinéma, sa vie serait faite de prostitution masquée, car au fond, quiconque s'intéresserait à elle le ferait simplement pour sa plastique. Son apparence physique la condamnait au sexe sans amour, au sexe par besoin de travail, au sexe par facilité.
Charles ne se déshabilla même pas. Sofia était nue, en sueur, et lui ne défit que son pantalon. Prestement, il mit son caleçon sur ses chevilles, et pénétra celle qui alors n'avait jamais été aussi belle, malgré l'humiliation qu'elle subissait (et je crois, je crois qu'elle savait cette humiliation). Belle parce que quelque part, elle tentait de se donner à fond, malgré le côté misérable de la chose, malgré son dégoût évident pour l'homme qui soufflait comme un boeuf à son oreille qu'"elle était vachement belle". Elle ne pouvait plus, ne savait plus jouer. Les attitudes à la Clara Morgane qu'elle prenait deux minutes plus tôt l'avaient désertée. Elle essayait de sauver un naufrage, un désastre, vaillamment, comme on essaie de sauver une pièce que le public n'apprécie pas. Je crois que j'ai imaginé qu'une larme coulait sur sa joue, c'est même certain, mais ça n'aurait pourtant pas été déplacé. Quelques minutes plus tard, Charles enfin jouit, et se retira de Sofia. Il fit un noeud au préservatif, et le jeta dans la poubelle jonchée de cotons à maquillage usagés. Il griffonna son numéro sur un papier qui traînait, remonta son pantalon, et balança quelques phrases qu'il imaginait apropriées à ce genre de situation. Puis il la laissa seule : la représentation allait commencer dans quelques minutes.
J'étais tétanisée, j'avais peur de la déranger, de la blesser. Malgré tout j'entrai, parce qu'il fallait bien qu'elle se prépare pour aller jouer. Lorsqu'elle me vit, son visage afficha comme un soulagement - et pour la première fois, elle me regarda vraiment, et me sourit. Je crus déceler une lueur d'envie à la vue de mon corps bêtement banal et sans intérêt, mais quelque part cela me semble cliché. Peut-être était-elle obligée de sucer quelques mecs qu'elle n'aimait pas, mais malgré tout, elle savait bien (et moi aussi) quels avantages elle avait à être belle et attirante plutôt qu'insignifiante.
Quelques minutes plus tard, elle montait sur scène. Et moi je démissionnais. Parce que j'avais eu ma dose de beauté, ma dose de vie que je n'aurais jamais. Et j'ai appris à vivre, en étant bien sûre de toujours agir comme ne le ferait jamais Sofia.

dimanche, octobre 15, 2006

I only hurt the ones I love

Pratiquement 16h30. La cloche n'allait pas tarder à sonner, pour me (nous) libérer des entrailles de cet établissement-pieuvre qui nous engloutissait et nous revomissait chaque jour. Comment aimer le lycée, à à peine seize ans ? Comment comprendre qu'on veuille nous enfermer du matin au soir, en nous disant quoi faire, quoi penser ? Non, je n'aimais pas le lycée. Et ce jour-là, alors que la délivrance approchait, je ne l'aimais pas plus.
Huit cents élèves courent vers la sortie. Je ne me presse pas. Nul besoin d'aller vite, après tout, j'ai toute la soirée devant moi à présent. Et tout le week-end. Un week-end qui va commencer sur les chapeaux de roue dans quelques heures, pensé-je alors. Une soirée entre filles, avec deux bouteilles de vodka et une martini. Vivement.
Le bus qui me dépose chez moi n'a pas la même odeur que d'habitude. Cette fois, il sent comme le commencement d'une nouvelle vie, peut-être à cause de l'odeur de tabac froid de mon voisin de gauche. Je me fiche que cela ne soit que ça. Je sais très bien ce que ça évoque en moi, ce que ça rappelle, ce que ça réveille. J'imagine déjà ce que je vais vivre, le nombre de verres qui me feront m'évader. L'impatience des quelques heures qui me restent à tuer me ronge.
21h. Les canapés sont tirés, les volets aussi. Fébrile, je remets un peu de rimmel. Je ne suis pas jolie mais ce n'est pas grave. Après tout, elles ne me verront pas, elles ne verront que le reflet de leurs fantasmes éthyliques. Et puis elles non plus ne sont pas forcément jolies. A vrai dire, ça n'a même plus d'importance.
M. arrive la première. Complicité d'années de collège et de lycée vécues ensemble. Je crois qu'elle fera à jamais partie de ma vie. J'y crois fort sur l'instant, vraiment fort. J'ignore encore la suite des événements mais je pense pouvoir lui faire confiance, la croire, la soutenir, être son amie la plus proche. J'y crois comme une adolescente encore un peu fleur bleue, qui échangerait son sang avec celui de sa meilleure amie, mais je n'ose pas le dire, j'aurais un peu honte de tout ça. Mes pensées, je ne les dévoile pas toujours. Elles ne regardent que moi et puis je ne sais pas bien encore les analyser.
Lorsque deux autres amies arrivent (nous ne seront que quatre ce soir-là), j'ai déjà vidé trois verres de Martini, et M. trois verres de vodka. Nous ne sommes pas ivres, juste pompettes. Bien évidemment, les deux retardataires ne tardent pas à nous suivre, et nous continuons de boire, alternant quelques passages à l'extérieur pour fumer quelques cigarettes dont nous détestons le goût, mais qui font remonter l'alcool directement à notre cerveau pourtant déjà bien embrumé.
Tout bascule lorsque nous regardons le concert d'un groupe de rock quelconque. J'ai oublié le nom depuis bien longtemps, mais je crois me souvenir que je l'adorais vraiment à cette époque. Affalées et ivres, une bouteille à la main, nous chantons (faux) les hymnes que nous connaissons par coeur. Le chanteur est un bel androgyne qui nous plaît à toutes. Mine de rien, l'excitation monte. Jusqu'à ce que M., portée par un élan d'ivrogne, m'embrasse sur la bouche.
Je ne réagis même pas. Je peux juste ouvrir ma bouche et lui laisser le soin de s'occuper de ma langue. Je ne sais absolument pas ce qui se passe mais l'alcool me permet de m'en moquer complètement. J'arrive tout juste à me relever quelque peu pour débarasser son corps de son tee-shirt.
Le reste m'apparaît par flashes. J'ai pratiquement tout oublié. Je me souviens de ses cheveux bruns, vraiment foncés, de leur odeur si excitante. Je me souviens d'une peau douce. D'un sexe rasé avec l'expérience d'une adolescente encore vierge. Je ne sais pas où ont disparu les deux autres, sans doute à vomir dans les toilettes ou dans la salle de bains. Ma première expérience sexuelle a eu lieu un soir de cuite, et je ne m'en souviens pas. Ou si peu.
Le réveil du lendemain est rude. Programmé à temps pour nous permettre de ranger et de nettoyer un peu l'endroit en question. Je me lève la première, regarde M. qui dort (comate) encore. Une étrange sensation se diffuse en moi. Une attraction terrible, de même qu'une sorte de dégoût.
Entendons-nous bien : elle était assez jolie. Pas une bombe, non. Une fille normale de seize ans, agréable à regarder, mais n'éveillant pas nécessairement le désir ou l'amour. Pourtant, après notre expérience que j'imagine sexuelle, je ne pense qu'à une chose : la posséder. En même temps que j'ai envie de la voir s'éloigner de moi, souffrir, partir. Partir parce que les quelques images dont je me souviens me montrent un corps proche du mien, si proche du mien, mais étant malgré tout l'enveloppe d'un être mille fois meilleur. Il y a comme une concurrence qui s'installe dans mon esprit. Complètement insecure, je l'imagine déjà me laissant tomber pour le premier homme qui s'intéressera à elle. J'imagine tout ce qu'elle pourrait m'apporter et dont elle me spolierait, juste parce qu'elle en a le pouvoir. Je sais qu'elle pourra s'évader, vivre un véritable amour, un amour qu'elle avouera. Le nôtre (mais était-ce même de l'amour ?), elle ne l'aurait jamais avoué, reconnu.
Je vois déjà nos journées au lycée. Le masque de l'amitié. Et puis les câlins au lit, loin des regards. Je n'ai pas envie d'annoncer ça, de l'officialiser, mais quelque part, l'idée qu'elle non plus ne le souhaite pas me dérange. Je sais très bien ce qu'il me reste à faire. J'ai envie d'elle mais j'ai tellement peur qu'on me compare à elle que je préfère tout couper.
Je laisse un mot prétendant une absence un peu longue. Je me cache dans une pièce de la maison qu'elle n'explorera pas. Et quand elle part enfin, un peu désemparée j'imagine, je m'empresse de lui envoyer un mail lui expliquant que je regrettais tout et que je ne voulais plus la voir. J'invente des raisons, des milliers de raisons, qu'elle ne pourra pas réfuter car elle a peur elle aussi de ce qu'on a vécu. Et puis j'efface son adresse mail, son numéro de téléphone.
Nous ne sommes plus que des étrangères. Je l'ignore au lycée, comme elle le fait. Plus jamais je ne la reverrais. Plus jamais je ne lui parlerais de tout me concernant. Elle restera un souvenir bref et agréable, mais sans regret.
Sans regret. Je me répète jour et nuit que je n'ai pas de regret. Et jour et nuit son visage brun me hante. J'essaie de réprimer cette petite phrase qui s'insinue en moi, me fait peur, me fait mal. "J'ai tout gâché". Mais non. Elle aurait pu revenir, discuter. Elle ne l'a pas fait. C'est sa faute. Voilà ce que j'ose me dire, ignorant délibérément le mal que je lui ai fait. Le mal que je me suis fait. Simplement parce que j'avais peur d'être si proche d'elle... Je ne sais pas si on aurait pu s'aimer, devenir un couple. Je n'ai jamais avoué qu'entre elle et moi ça a été de l'amour. Pourtant quand j'y repense... la jalousie, les rires, la complicité, l'apaisement à ses côtés. Je préfère croire que j'ai eu raison, parce que maintenant je suis mariée, j'ai des enfants. Elle n'aurait pas eu sa place dans ma vie. Et j'essaie de ne pas croire que je l'ai ratée, cette vie.

jeudi, septembre 14, 2006

Would you like to try ?

Ma dancing queen était petite. Petite, mais pas frêle : musclée, voire imposante dans sa manière de se tenir. Elle savait ce qu'elle valait. Et puis, elle aurait eu bien tort de l'ignorer.
Elle me racontait des histoires qui m'emmenaient jusqu'au bout de la nuit. L'histoire d'une jeune femme sur la piste de danse qui avait plein de secrets à raconter, mais qui dansait, encore et toujours, jusqu'à ne plus tenir debout, jusqu'à être raccompagnée par n'importe qui (le n'importe qui qu'elle laissait à la porte, ayant repris ses esprits au contact de la réalité de son monde). J'ai souvent cru que c'était d'elle dont elle me parlait lorsqu'elle se laissait aller à me chuchoter ce genre de choses. Je n'ai jamais vraiment bien su, parce qu'elle savait garder le mystère, garder le contrôle surtout.
Et puis il y avait les soirs où elle se mettait sur son trente-un et me hurlait qu'on devait sortir, aller se déhancher sur la musique qui faisait que les gens se réunissaient tous. Qui faisait qu'on n'était plus qu'un alors, plus qu'une unité, tous différents mais tous ensemble. Je la revois encore, parfois habillée tout en cuir et fredonnant qu'elle allait rencontrer son futur amant, ou alors chantant quelque texte hébraïque alors qu'elle se drapait de vêtements arabisants.
Elle avait une telle volonté, une telle envie d'être reconnue. Et puis tout le monde la reconnaissait d'ailleurs. Je me rappellerais toujours de l'énorme sourire qu'elle avait sur le visage lorsqu'elle entrait dans la boîte et que les gens, la reconnaissant, l'appelaient par son prénom : tout son être s'illuminait d'être le centre d'attention, d'être enfin à la hauteur de ses espérances. Mais je crois que finalement, son entrée de star était bien peu de choses comparée à la façon qu'elle avait de déchaîner la foule rien qu'en bougeant au son de la musique des dancefloors. Elle connaissait tout par coeur, des chansons qui parlaient des amours de vacances en Espagne aux chansons qui criaient leur amour pour une ville. Parfois, bien sûr elle chantait faux, épuisée, mais jamais elle ne s'arrêtait.
Il lui arrivait, bien sûr, de s'arrêter un peu, le temps de bouger lentement sur un slow. Elle en profitait pour parler à ceux qui l'admiraient du coin de l'oeil, leur demander d'où ils venaient, leur dire parfois son point de vue sur le monde et la politique. Ma dancing queen était si volontaire alors, si sûre d'elle... parfois on se serait cru à un meeting tant sa force de persuasion était forte.
Elle m'amusait beaucoup. D'un coin de la salle, j'aimais la voir jouer au cheval sur un garçon, se déhanchant de manière bien évidemment totalement incorrecte. Tellement de sex-appeal, tellement de sensualité. Rien que ses yeux donnaient envie d'embrasser sa bouche et ses dents du bonheur.
Mais bien sûr, ses soirées-là elles aussi avaient une fin. Après un dernier tour où elle imitait John Travolta dans Saturday Night Fever, elle nous disait au revoir et repartait, laissant derrière elle un goût d'inachevé, une soudaine envie de la revoir, de réussir peut-être à la toucher ou à mieux la connaître... me laissant seule, même si c'était moi qui l'avais accompagnée à l'aller...
Le lendemain, elle me rappelait, et commençait pratiquement toujours la conversation par : "Est-ce que tu t'es confessée ?" Et puis elle riait et parfois, repartait dans ses histoires de jeunes femmes sur les pistes de danse, esseulées et puis pleines de vie, à danser comme pour sauver leur peau.
C'était bien sûr d'elle-même qu'elle parlait mais je n'ai jamais voulu me l'avouer, par peur d'être passée à côté. C'était toujours elle qui décidait quand on se verrait, toujours elle qui, finalement, venait à moi. Et malgré mes illusions, j'ai toujours su qu'elle se démenait sur les pistes de danse pour autre chose que pour moi, pour autre chose que nous tous - mais quoi ? Je n'ai jamais pu l'apprendre, et pourtant, elle avait tant de choses à me raconter...
Queen of the universe - 30.08.06

mardi, août 29, 2006

J'aime l'infirmière, maman


L'adolescence est sans doute la plus belle période de notre vie. Malgré la difficulté de se voir devenir quelqu'un d'autre, c'est alors que nous découvrons ce qui nous fera vibrer pour toujours, ce qui nous fera devenir dingues, ce qui nous poussera à partir au bout du monde ou à abandonner n'importe quoi : l'amour, et plus particulièrement, le sexe. On dit souvent que les deux vont de pair. Je suis plutôt d'accord, même si j'ai envie de citer Kundera : Le sexe n'est pas l'amour, ce n'est qu'un territoire que l'amour s'approprie. C'est donc l'heure de la découverte de notre corps, des plaisirs des sens, de la petite mort qu'un monde s'écroulant ne dérangerait pas.
J'étais donc moi-même dans cette période-là de ma vie. J'avais tout juste quinze ans, et l'orgasme n'avait déjà plus de secret pour moi, suite à ma découverte de l'onanisme. Je le pratiquais avec une régularité appliquée et consciencieuse : chaque soir, avant de dormir, je m'esquintais à m'envoyer en l'air (avec ou sans volutes de sèches au menthol). C'était un moment privilégié, où j'apprenais à découvrir quels endroits me donnaient du plaisir, quelle était la forme de mon sexe. J'aimais la douceur de mes lèvres, et la sensation délicieuse du chaud liquide coulant entre mes jambes.
Mais ça, c'était avant. Bien avant de découvrir ce que recelait vraiment le mot "orgasme". A quinze ans à peine, je dus (rien de bien étonnant) rendre visite à une grand-mère mourante. Rien de bien tragique, à cet âge-là on sait déjà que tout est éphémère, encore plus la vie de nos proches. Non, ce qui m'a marquée ce jour-là, ce fut l'infirmière qui interromput notre vaine discussion familiale. Elle entra, ayant à peine frappé, et apporta le déjeuner de ma grand-mère. Puis, elle se tourna vers nous. Et alors, presque instantanément, je sentis cette chaude sensation aqueuse dans mon bas-ventre. Elle nous regarda d'un air agacé, presque méprisant. Sa bouche était de toute manière trop bien dessinée pour faire autre chose que la moue. "Les visites sont finies à cette heure-là. Revenez plus tard". Une élocution parfaite, et une voix si grave et sensuelle... qui contrastait avec sa blondeur angélique, mais qui cadrait parfaitement à l'expression de profond ennui qu'elle avait sur le visage.
Elle était déjà sortie quand je réussis à reprendre mes esprits. J'avais beau essayer de penser à autre chose, je ne voyais que les seins ronds (et sans doute lourds) enfermés dans la blouse blanche, les jambes dénudées, le regard de feu, la blondeur des cheveux... Mon coeur battait à tout rompre. Je savais qu'il y avait là un rapport entre cette femme et ce que je me faisais tous les soirs. A quinze ans, difficile de s'avouer ce genre de choses. Mais à quinze ans, il est encore plus difficile de réfréner ses désirs.
Alors que mes parents s'éloignaient sur le parking bétonné de l'hôpital, je leur criai : "je prends le bus, j'ai une course à faire". Ils hochèrent la tête et partirent dans leur voiture gris métal. Ma tête bourdonnait. Que pouvais-je faire maintenant que j'étais seule ici ? Avais-je vraiment le courage de retourner la voir ?
Oui. Oui, parce que je ne pouvais pas laisser passer ça, sans essayer de comprendre, sans essayer de ressentir ça encore une fois. Je poussai la porte de l'hôpital pour la seconde fois de la journée, et me mis à fureter dans les couloirs. J'avais un peu honte de ce que j'étais en train de faire - mais cette honte me cachait la peur qui me tordait les boyaux : que ferais-je face à elle ?...
Les couloirs, les portes se ressemblaient. Je me serais crue telle le Minotaure cherchant sa proie. Thésée allait-il me mettre à mort ?... Mais c'est alors qu'elle apparut. La même expression sur le visage, le même ennui, le même mépris. Je respirai un grand coup et m'avançai.
"Je peux vous parler ?" Elle fronça les sourcils. Mon coeur battit un peu plus fort. "J'écoute". "Non, pas ici". Elle haussa les épaules et me fit signe de la suivre. C'est alors que nous entrâmes dans ce qui semblait être la salle de repos de l'hôpital, puisque deux lits superposés s'y trouvaient. Elle ferma derrière moi et se posta, les mains sur les hanches. Elle alluma une cigarette, tira une bouffée et finit par me dire : "Ben quoi ? Vas-y, parle-moi, je t'écoute".
Je me suis toujours demandé par la suite si elle n'avait pas su tout de suite. Après tout, que pouvais-je lui demander ? Elle n'était qu'infirmière, elle ne pouvait pas me renseigner sur ma grand-mère. Elle savait bien que je n'allais pas lui demander pourquoi elle faisait ce métier, car elle voyait que je me foutais de cet hôpital et de son travail. Alors, ne savait-elle pas qu'elle me plaisait, et que cette discussion n'aurait jamais lieu ? Que tout ça n'était qu'une approche minable d'adolescente pas encore habituée à draguer ? J'aime à penser qu'elle le savait...
Sans lui laisser le temps d'en dire plus, je m'approchai et l'embrassai. Mais pas un petit baiser, non. Je lui roulai une pelle comme jamais je n'en avais roulé. Elle ferma les yeux immédiatement et lâcha sa cigarette qu'elle écrasa rapidement avec son pied gauche. Lorsque je relâchai mon étreinte, elle se dirigea vers la porte. Mon coeur fit un bond. Mais ce fut pour y tourner la clef... et elle se retourna vers moi. Pour la première fois, je la vis sourire. "Il faut se dépêcher, je n'ai qu'un quart d'heure de pause". Elle me prit la main et nous nous assîmes côte à côte sur le lit du bas. Elle commença à retirer mon pull, lorsqu'elle me regarda d'un drôle d'air : "Ben déshabille-moi". Je déglutis péniblement et mes doigts commencèrent à s'affairer sur les boutons de sa blouse. En dessous, rien d'autre que ses sous-vêtements. Je me souviens que ça m'avait excitée comme jamais de voir son ensemble tout blanc, sans fantaisie ni dentelle. C'en était d'autant plus sexy.
Lorsque nous fûmes toutes les deux à moitié nues, je l'allongeai et me mis à califourchon sur elle. C'était une chose à laquelle je n'avais jamais pensé : moi et une autre fille. Mais j'étais là, sur le point de perdre ma virginité, avec la plus belle femme du monde. Je souris, et me mis à l'embrasser. D'abord sur la bouche. Puis sur les seins. Puis sur le ventre. Et lorsque j'arrivai à son sexe, je fis glisser sa petite culotte (elle leva légérement les hanches pour m'aider) et découvris l'essentiel.
Je découvris ce que je passerais ma vie à chercher. Je découvris ce qui me ferait vibrer. Je découvris ce qui allait m'en apprendre plus sur moi que des années de thérapie. Je découvris l'origine du monde et le début de ma vraie vie.
Son corps était comme le mien, à quelques détails près. Toujours est-il que je savais où la caresser pour la faire jouir. Je savais où poser ma langue, combien de temps appuyer pour que cela soit bon. Je savais comment alterner entre son clitoris et son vagin, comment alterner entre ses seins et son sexe. Elle aussi savait tout cela. Elle aussi savait exactement ce qui me plairait, ce qui me ferait grimper jusqu'au nirvana. Elle savait même que frotter sa peau contre la mienne serait le meilleur aphrodisiaque au monde, et que l'odeur sucrée de ses cheveux s'infiltrant dans mon cou m'inonderait bien plus que n'importe quel autre acte sexuel.
Mais les quinze minutes s'écoulèrent rapidement. Je jouis plusieurs fois, elle aussi. Il fallut se rhabiller, en silence. Son visage était tout éclairé de joie, ou de bonheur, ou de je ne sais quoi d'autre. Elle ne paraissait plus ennuyée du tout. Alors qu'elle enfermait la peau laiteuse de ses seins dans son soutien-gorge, elle me regarda et ne dit que ça : "merci". Puis elle sourit, et avant qu'elle ne referme la porte, je pus lire sur le badge agrafé à sa blouse : Melody.
Et même si je ne l'ai jamais revue, je sais tellement de choses sur Melody. Je sais sa façon de se mordre la lèvre inférieure lorsqu'elle aime ce qu'on lui fait, je sais sa canine supérieure gauche plantée de travers dans sa gencive, je sais les quelques boutons qui lui parsèment le front, je sais sa cicatrice sur la cuisse droite, je sais ses grands pieds qui ne cessent de bouger pendant l'amour, je sais ses sourcils non épilés et trop foncés pour qu'elle soit réellement blonde, je sais qu'elle a aimé un certain Trip dont le nom est toujours tatoué au-dessus de son sexe, je sais sa façon de gémir, je sais l'odeur de son souffle, je sais son piercing en haut de son oreille, je sais la beauté de son visage quand son maquillage coule à cause de la transpiration...
J'ai découvert la vie, l'amour, le sexe avec Meldoy. Simplement du désir ou alors plus... peu m'importe aujourd'hui. Melody, l'amour de mes quinze ans, la femme la plus belle du monde. Melody, que je n'ai connue qu'un instant. Melody, que jamais je ne pourrais oublier...

lundi, juillet 31, 2006

Zeste de citron

Cette ride au creux du front. Le premier cheveu blanc. Il savait bien d'où ça venait. Il savait même pertinemment à qui il devait toutes ces marques de vieillesse prématurées. Parce qu'il n'était pas vieux, ou tout du moins, il refusait de voir que la vie avançait, et lui avec, bon gré mal gré. Il rêvait parfois qu'il avait encore dix ans de moins. Et qu'elle aussi en avait dix de moins. Dieu, qu'elle avait été jolie, sa petite poupée d'ivoire qui attrapait les insectes au vol, ou se jetait dans la piscine gonflable comme si sa vie en dépendait.
Comment s'y résoudre ? Comment pouvait-il se résoudre à la vérité, qui lui déchirait le coeur à chaque fois... Non, Marilou n'avait plus six ans. Elle en avait seize à présent. Merde, seize ans... L'âge où lui-même avait perdu sa virginité. Avec une gamine de deux ans plus jeune. Un vertige le prit en pensant que sa Marilou était elle aussi à cet âge où... Non, non, ce n'était pas possible. Pas elle. Elle, elle n'irait jamais dans les bras d'un autre homme. Jamais elle n'irait faire l'amour, jamais, ce n'était pas possible, il ne fallait pas. Et puis elle l'aimait trop pour lui faire ça. Non...
Malgré lui, il savait bien qu'il se mentait. Une petite voix sournoise riait à l'intérieur de lui. "Vraiment, regarde-toi, ce que tu peux être bête... Comment as-tu pu vieillir comme ça ? C'est une adolescente, elle est belle, elle a des seins, des fesses, les garçons se touchent peut-être en pensant à elle. Il faut bien que le corps exulte..." Et il repensait à ses parents. Ses parents qui, peut-être aussi, avaient eu peur pour lui, pour sa soeur. Ses parents qui lui répétaient sans cesse de faire attention, de ne pas se retrouver avec une petite amie enceinte. Et lui qui se disait : "mais ils n'ont jamais été jeunes ?"
Bien sûr que si, ils ont été jeunes. Comme lui l'avait été. Mais voilà... on vieillit, on devient parent. Et l'idée de son bébé dans les bras d'un garçon qui, peut-être, lui ferait mal, qui, peut-être, ne s'intéresserait même pas à elle lui donnait envie de vomir. Juste une enfant. C'était juste une enfant... une enfant avec des formes de femme, une enfant qui se maquillait, une enfant qui portait des minijupes. Et qui était partie tout à l'heure, plus maquillée que jamais, avec un haut bien trop court pour elle.
Il pensa à la chanson de Bénabar. Aller dormir chez une copine ? Merde. Merde. Merde. Elle se foutait de lui, oui ! Elle voulait être tranquille pour aller faire ses cochonneries avec un garçon, c'était sûr.
Le père se releva, le coeur tremblant. La mère dormait à côté de lui, paisible, sans se soucier que leur fille allait perdre sa virginité ce soir-là. Il essaya de téléphoner sur son portable. Aucune réponse, bien sûr... Il ne laissa pas de message - à quoi bon ?
Et puis l'espace d'un instant... il se mit à réfléchir. Voyons, toi aussi, tu as été ado. Ne me dis pas que cette fille-là ne t'aurait pas plu...
Il fit un bon en arrière. Non. NON. Plus jamais ce genre de pensées, plus jamais. La mère, alertée par le bruit, se tourna vers lui. "Qu'est-ce qui se passe ?" Il avait le souffle court. "Rien. J'ai envie de faire l'amour." Ce qu'ils firent. Et ils s'endormirent d'épuisement.

Dimanche matin, 11h. Marilou rentre de sa soirée. Papa lui sourit gentiment. Il a l'air un peu contrarié Papa ce matin. Mais qu'importe. Marilou veut leur dire la vérité ce matin.
"Papa, Maman... je crois que je suis homosexuelle".
Papa repense à sa dure nuit. Papa sourit. Aucun autre homme ne prendra le coeur de sa fille. Papa dormira bien ce soir.

jeudi, juillet 13, 2006

Without you I'm nothing at all

Je me souviens. Je me souviendrai toujours. Tu le sais. Tu sais que jamais, jamais je ne t'oublierai. Malgré tout ce que j'ai pu dire - ou faire... Malgré les hurlements, les larmes. Malgré ta haine. Malgré mon indifférence. Jamais tu ne seras qu'un simple souvenir que je pourrai balayer de la main. Tu es plus que ça. Tu seras toujours bien plus que ça.
Un après-midi banal de vacances. Les Landes et leurs pins, un peu de pluie, parce que même au mois d'août il pleut. L'ennui qui m'étreint, comme souvent - toujours ? Le craquement des brindilles sous mes pieds à peine couverts par mes chaussures. Quelle idiote de n'avoir pas emmené de chaussures fermées. Pour réussir à courir, courir loin d'une histoire dont je n'ai pas / plus envie. Pour essayer d'échapper à l'ambiance étouffante, échapper à la sensualité de ma colocataire de tente. Une si belle femme. Qu'est-ce qu'elle fout à vouloir me récupérer ? Et qu'est-ce que je fous à partir en vacances avec elle ?...
Heureusement, heureusement qu'il y a les soirées. Toutes ces soirées où elle vient parfois avec moi. Parfois pas. Je drague honteusement les hommes devant elle, je couche avec eux, presque sous ses yeux. Pour lui montrer. Qu'elle comprenne que c'est idiot, de s'attacher, d'y croire encore. Regarde-moi, aie mal, un bon coup. Et puis après, ça ira mieux, tu trouveras quelqu'un d'autre... Mais je n'aurais pas imaginé tomber dans le piège. Moi aussi.
Le piège d'une soirée. Je ne sais même plus ce qu'elles fêtent, toutes. Pas un seul garçon. Une drôle d'atmosphère. J'entre dans le salon d'une maison de vacances grande comme un château, et l'odeur déjà me met sur la voie. Ca sent la sueur, le sexe, l'amour. Après tout, c'est mon élément. Mais je sens que tout bascule lorsque, dans le noir, alors que j'essaie de me diriger à tâtons vers un canapé, je sens des lèvres sur les miennes. Je ne sais pas qui c'est, mais je sais que c'est là que tout commence. Et tout finit. Une douceur... un goût si particulier de chewing-gum à la pastèque dans la bouche. L'étreinte se relâche, et alors que mes yeux s'habituent à l'obscurité, je distingue ses traits. Un visage fin, des cheveux longs et bouclés. Un corps splendide, avec des seins et des fesses bien mis en valeur. Un nez un peu grand. Tellement charmant.
Je m'installe, doucement. Je ne rêve que d'une chose : aller retrouver ce bout de plastique dans sa bouche avec ma langue. Elle se laisse tomber à mes côtés, et elle rit. Complètement défoncée, elle se jette sur moi, et me chuchote : "je t'ai vue arriver, ce que tu m'excites". Et on s'embrasse, encore. Jusqu'au lit. Jusqu'à son corps désentravé de ses vêtements. Jusqu'à ses courbes que j'embrasse, aussi.
Ca me semble si loin. Tout juste une année. Une seule année. J'ai l'impression de te connaître depuis toujours... Peut-être parce que tu m'as tout donné.
Retour dans la grisaille quotidienne. Où je me languis d'elle. Elle qui s'est jetée sur moi. C'est elle qui a jeté son dévolu sur moi. Et c'est moi qui, fébrile, attends de voir mon portable sonner, pour enfin, enfin lire son message. "Tu es partie trop vite. J'habite A*****. On pourra se revoir ?" Les larmes qui brouillent mon visage. Et que j'essuie rageusement parce que merde, je ne vais pas me mettre à aimer quelqu'un, encore moins une si belle fille, encore moins quelqu'un qui habite à plus d'une heure de route de moi... Suffocations. Il faut que je la voie pourtant. "Oui, j'ai besoin de toi". Trop tard, le message est parti. Avant même que je me rende compte de mon erreur. Même la pluie ne m'agace plus. "J'arrive demain". Plus rien ne m'agace. La vie est belle ?
Je ne me comprends pas. Je ne me reconnais pas. Je ne reconnais pas mon visage déformé par les sourires, ces battements de coeur bien trop rapides. Je la regarde en plein jour. Elle sent le bonbon, la barbapapa, quelque chose de sucré et de fort. Elle a une peau agréablement dorée, qui a un goût de sel. Quand je la vois mon coeur explose.
Et puis, l'habitude. Ses vêtements chez moi. La brosse à dents. Les sous-vêtements. Son odeur dans mon lit... J'y prends goût. La voir débarquer tous les vendredi soir m'enchante. Je crois bien que son joli prénom commençant par E. ne m'a jamais autant plu de ma vie... même quand je pelotais une fille du même nom au lycée.
Mais mon amour, tu comprends. Tu comprends qu'il y a eu ce coup de fil, alors je ne pouvais plus... assumer ? Je ne sais pas bien de quoi j'avais honte mais... je ne pouvais pas. Plus.
Téléphone, un soir. "Ouais c'est T., tu viens baiser ?" "Non." "Quoi, t'as tes règles ?" "Non." "Bah alors amène-toi, j'ai envie de baiser moi." "J'ai pas envie." "Me dis pas que t'as un mec ?" "Non." "Une sale connasse de nana alors ? Eh merde J., tu sais bien que c'est pas pour toi tout ça. T'es bonne pour la baise, pas pour l'amour." Je raccroche. Le coeur qui bat là aussi. Mais pas pour les mêmes raisons. E. a son air interrogateur, celui que j'aime tant... je me jette sur elle, j'enlève ses vêtements. Son débardeur noir. Ce jean. Son soutien-gorge pourpre. J'embrasse sa peau, ses seins, son sexe, comme si je n'allais jamais les revoir. J'embrasse ses lèvres. Si douces, comme la première fois. Mes doigts, ma langue la font jouir. Je l'empêche de me toucher. Je veux juste voir son visage se tordre, ses dents mordre sa lèvre inférieure sous la puissance de l'orgasme que je lui procure. Alors qu'elle reprend son souffle, je m'allonge à côté d'elle. Et fais semblant de dormir. Elle essaie de me toucher, mais je l'ignore. Je sens ses frêles épaules se hausser contre mon dos, et à son tour, elle s'endort.
Il fait encore nuit quand je me réveille. Je ramasse tout. Brosse à dents, sous-vêtements, godemichés, maquillage. Tout dans un grand sac. Et je nettoie. Je nettoie pour ne plus sentir son odeur. Quand elle se réveille, son regard n'est plus interrogateur. Elle voit le sac. S'habille, et s'en va. Le soir-même, je reçois un texto : "Je t'aime. Je ne t'en veux pas. Appelle-moi." Pour toute réponse, j'attrape la bouche de mon voisin, et bientôt son sexe et le mien ne font plus qu'un. Adieu...
Je t'ai dit adieu en te faisant du mal. Adieu en baisant un mauvais coup qui ne m'excitait même pas. Tout ça parce que j'ai eu peur. De ne pas être à la hauteur, parce que je sais bien qu'il a raison. Je ne suis pas faite pour aimer, encore moins pour être aimée. Alors j'ai tout cassé, comme ça, tu n'auras jamais de regrets. Car tu retrouveras dans ton téléphone mon message mortifère, qui te disait que je ne t'aimais pas, que je n'avais aimé que ton cul.
Si tu savais... si tu savais la boule que j'avais dans la gorge quand je t'ai vue, sur le palier, ruisselante de larmes, hurlant que tu me détestais. Que je t'avais tuée. Dis, je ne t'ai pas fait ça quand même ?... Moi je voulais juste te protéger de moi...

mardi, juin 27, 2006

The heart is deceitful above all things


Un ami l'avait repérée. Normal, elle était sublime. Nous étions autour d'une table minuscule, sur un canapé confortable, dans le clair-obscur d'un bar d'intellectuels. Une bière ambrée à la main, je la vis qui se dirigeait vers les toilettes. Et c'est à ce moment-là que l'ami en question la remarqua.
"Regardez-la, comme elle est jolie avec sa robe bleue et ses petits seins." Et effectivement, elle l'était. Elle l'était vraiment. Un visage un peu particulier, elle ressemblait un peu à Sarah Jessica Parker, mais en vraiment plus jolie. Ce même genre de nez, grand mais tellement charmant. Contrairement à l'héroïne de Sex and the City, elle avait les cheveux raides, d'un roux éclatant. J'aurais pu parier que ce n'était pas une teinture, mais bien sa couleur naturelle.
Elle ressortit des toilettes. Elle avait une démarche un peu hésitante, comme si elle n'arrivait pas à se porter. Ce qui semblait normal, puisqu'elle devait faire 40 kilos grand maximum. Une telle maigreur... Peut-être que je l'aurais trouvée moins belle, avec des kilos en plus. Ca faisait son charme. Mais quelque part, j'étais gênée. Toujours gênée face à ses femmes que j'imagine anorexique, mal dans leur peau. Peut-être parce que je sais trop bien ce que c'est. Mais dieu, quelle robe splendide. Griffée Ralph Lauren, là encore j'aurais pu parier. Volante et en même temps près du corps, avec un bleu puissant, mais pas franchement vif. Cela faisait ressortir sa pâleur de rousse. Et son visage aux traits fatigués.
J'étais émue. Emue parce que malgré tous ses défauts, malgré sa fatigue apparente, sa lassitude, elle était belle. Personne ne pouvait le nier. Ce petit bout de femme qui luttait pour tenir debout avec un charme dingue.
Mais nous étions entre amis, et je ne pouvais vraiment pas aller l'aborder, comme ça, pour lui dire qu'elle était touchante. J'ai alors repris ma bière, bu une gorgée, et commencé à raconter mes frasques de mon dernier hiver passé au ski. Je suis peut-être rentrée la cheville cassée, mais au moins je m'étais amusée. J'essayais de ne plus penser à ma Sarah Jessica qui discutait avec ce qui semblait être une de ses amies, accoudée au bar. Les gens autour de moi ne savaient rien de mon attirance pour les femmes. Et puis, je ne voulais pas me donner en spectacle.
Je fis le tour de la pièce du regard. Un couple se tripotait dans un coin, mine de rien. Des enfants mêmes étaient présents, accompagnés de leurs parents. J'aimais l'éclairage rouge orangé de ce bar, ce côté intime, personnel. Il y avait dans l'air quelque chose qui donnait envie de tomber amoureux.
Mais il fallut bien partir. On se leva tous ensemble, mais alors, une amie voulut se rendre aux toilettes. Nous l'attendions tous, debout, en train de nous demander où nous allions aller. Quand j'ai croisé son regard. Il y avait une telle insistance dans son regard, doublée de désespoir. Mon esprit romantique y a immédiatement vu un appel à l'aide (à l'amour ?), mais je ne pouvais pas y croire, pas ici, pas comme ça. Pour sortir de mon illusion, j'ai tourné la tête. Mais quand je l'ai relevée vers elle, elle me regardait toujours. Une telle indécence dans son regard. Le monde aurait pu s'écrouler qu'on se serait retrouvées là, à se regarder. Dieu, ce qu'elle était belle. Je ne voulais même pas savoir depuis combien de temps je n'avais pas ressenti ça. J'essayais d'imaginer ce que je pourrais lui dire, ce qu'on pourrait faire ensemble. Nos soirées, notre vie.
Mais on me sortit de ma torpeur assez brutalement. "Allez viens, on va aller faire un tour en boîte." Notre petit groupe a alors commencé à s'avancer vers la sortie. Il fallait passer tout près d'elle pour y accéder. Mon coeur a battu un peu plus fort, et j'ai enfin osé relever les yeux vers elle, juste quand on la frôlait. Mais elle ne me regardait plus.
Je ne saurais jamais si c'était une invention de mon esprit. Si elle m'en avait voulu de partir, lâchement, sans un regard pour elle. Si elle aurait aimé que je lui parle, que je la touche. Mais ce que je sais, c'est que je n'oublierais jamais son regard, et que je m'en voudrais toujours. De n'avoir pas eu le courage. D'avoir pensé que c'était peine perdue. D'avoir encore une fois été trop pessimiste.
Excuse-moi, mon hypothétique amour.

lundi, juin 19, 2006

You don't have to sell your body to the night



Comme le sable est désagréable. C'est drôle, je n'aurais jamais imaginé qu'on puisse être si mal à l'aise sur le sable. Pourtant, j'ai fait de nombreuses siestes à la plage, toujours délicieuses. La douce morsure du soleil me laissait grisée, ivre, apaisée. Je la sentais sur mon ventre, mon dos parfois, mes cuisses, sur la naissance de mes seins. Comme c'était agréable alors. Et puis, il y avait eu au préalable le doux massage lié à la mise de crème solaire. Massage éventuellement demandé à un joli garçon, qui se faisait un plaisir de toucher mes reins, le bas de mon dos, presque mes fesses. C'était doux et tellement bon, d'une telle sensualité. J'aurais pu passer ma vie, étendue sur une serviette de plage, à lire les aventures de Don Quichotte, ou alors à somnoler.
Je ne sais même pas pourquoi tous ces souvenirs affluent dans ma mémoire. Cette plage-là est tellement différente. Le soleil est caché par des nuages, je n'ai aucun besoin de mettre de la crème. Et puis je ne suis pas venue là pour me baigner. Je ne sais pas trop pourquoi je suis venue là, d'ailleurs. Enfin, si, je me souviens. Les regards dans le couloir de l'hôtel. Il n'est pas vraiment beau, mais il n'est pas laid. Alors je lui ai souri. J'ai tout fait pour qu'il comprenne qu'il me plaisait à moi aussi. Et puis il y a eu le vide dans ce couloir. Alors nous étions seuls, face à face. Il m'a parlé, m'a dit que j'étais belle. Belle à en pleurer avec mes yeux bleus et mes cheveux entre le brun et le roux. Je n'ai rien dit. Il a touché mes cheveux, ma joue. Il m'a embrassée. Et m'a demandé si on ne pouvait pas se retrouver demain après-midi, devant l'hôtel, on irait se balader près de la plage, ce serait sympa. Bien sûr j'ai dit oui. Bien sûr j'ai hoché la tête. J'ai compris.
Alors j'étais là tout à l'heure, à l'attendre. Il est arrivé un peu en retard. Ca m'a énervée mais je n'ai rien dit. Je m'étais habillée sans trop en faire. Je ne sais pas pourquoi, je ne voulais pas que tout aille trop vite. Et je m'étais dit que la barrière de mon pantalon noir serré par une ceinture ferait aller les choses plus lentement. De toute manière il n'a vu que mon décolleté. C'était fait exprès ça aussi...
Le temps était déjà assez nuageux et frais. En plein été, un comble. Je crois bien que j'ai prié pour que mes parents ne s'aperçoivent pas que je n'étais pas dans ma chambre. Alors on a marché, jusqu'à cette jolie plage. J'adore les dunes, et le vent qui souffle assez pour que les vagues sonnent à mes oreilles. Il me tenait la main, vous croyez ça ? Et moi je ne l'ai pas retirée. Alors il m'a encore embrassée. Et ses mains ont commencé à descendre le long de mon corps. Sensations que je ne connaissais qu'innocemment. On ne m'avait jamais touchée comme ça. Il était si près de moi que j'ai même pu sentir son érection. Il m'a alors tirée par le bras, et on s'est installés là, entre les dunes, sur le sable désagréable. C'est là que nous sommes. Il est à côté de moi et n'arrête pas de mêler ses jambes aux miennes.
Je suis soudain très lasse. Ma tête me crie non. Non je n'en ai pas envie, pas maintenant, pas comme ça, pas ici, pas avec toi. Mais la raideur dans son pantalon ne faiblit pas. Il m'embrasse le cou, ses mains sont partout à la fois sur mon corps. Et puis, ça y est. Alors que j'essaie de pousser mes cheveux qui encombrent mon visage, je le sens défaire le bouton de ma ceinture. Puis celui de mon pantalon. Qu'il tire vers lui. Il fait de même avec ma petite culotte émaculée, blanche comme du coton. Il écarte mes jambes rapidement avec son corps, et commence à défaire son jean. Je tourne la tête, parce que je ne veux pas voir ça. Mais je ne peux rien dire. Une pensée me traverse l'esprit : comme ça, au moins, ce sera fait. Peut-être à 17 ans sur une plage minable avec un inconnu, mais ce sera fait.
Son jean va retrouver mes affaires éparpillées dans le sable. Son boxer aussi. Vite, vite, comme si le temps courait contre lui, il remonte mon débardeur, et enfouit sa tête entre mes seins qu'il lèche. Sa respiration est très forte. Mais le haut de mon corps ne l'intéresse déjà plus. Il saisit son sexe d'une main pour s'insinuer en moi. Il y parvient rapidement. Et alors qu'il ferme les yeux en poussant un petit soupir de contentement, moi, je brûle. Je brûle de douleur. Il continue à s'enfoncer et je serre les dents du plus fort que je peux. J'ai horriblement mal. Mais je ne peux pas lui dire. Et puis il s'en moque. Il est tout à son affaire, à ses va-et-vient, à son plaisir. Ma tête va exploser, je n'ai jamais eu aussi mal de toute ma vie. Même quand Armelle m'a poussée contre le mur en CM2. Même quand on m'a opérée d'un ongle incarné sans anésthésie. J'ai le ventre en feu, complètement déchiré. Une larme de douleur roule sur ma joue, mais je l'essuie le plus vite que je peux. Je murmure difficilement un "plus doucement, s'il te plaît", qu'il entend à peine. Il me répond bien sûr et continue son travail d'écorchement.
Finalement, il sort de moi, et le soulagement est immense. C'est la première fois que je vois son sexe qui est toujours en érection. Et je me rends compte qu'il n'a pas mis de préservatif. Et que je ne lui ai même pas demandé d'en mettre. Je commence à récupérer mes affaires, mais il attrappe mon bras. "Attends, j'ai pas fini, viens me sucer". Je reste là, interdite. Son regard est insistant. Alors très gauchement, je m'approche de lui, et touche un pénis pour la première fois de ma vie. Il insiste. "Allez, fais pas chier, toutes les nanas le font". Je respire un bon coup et puis je le prends dans ma bouche. Ca n'est pas si désagréable ni si mauvais - jusqu'au moment où il appuie sur ma tête pour que je le prenne encore plus loin. J'ai l'impression que je vais étouffer. Heureusement sa jouissance n'est pas longue à arriver, et il tient ma tête pour que je ne me dégage pas alors qu'il balance son sperme dans mon gorge. Il pousse un râle de jouissance, et me relâche enfin. Je ne peux même pas cracher, j'ai déjà avalé les trois quarts de sa semence. C'est gluant, et très salé. Il me regarde avaler, avec un sourire satisfait. Mais déjà il est débout et se rhabille. "Je dois y aller, j'ai un rendez-vous très important ; on se voit bientôt !" Il me caresse la tête, comme si j'étais un animal, et disparaît derrière les dunes de sable.
De façon automatique, je me rhabille et rentre à l'hôtel. Je me couche, mais le sommeil ne vient pas. J'ai encore mal. Je passe aux toilettes pour découvrir ma culotte naguère si blanche tachée de sang. C'est terriblement violent, ce sang écarlate sur un sous-vêtement aussi immaculé. Mais je n'ai pas envie de pleurer. Je m'essuie, et puis me douche.
Et puis je pense. Je pense à toutes ces femmes dont ç'a été la première fois. Toutes celles qui ont eu mal, mais n'ont rien dit. Toutes celles qui ont été soumises au désir de l'homme. Toutes celles qui malgré la douleur, savaient qu'elles n'avaient pas le choix. Car il faut bien le faire. Il faut bien une première fois. Et même si on en avait envie, même si on a tout fait pour ça, le dépucelage n'est rien d'autre qu'un viol.

lundi, juin 12, 2006

J'ai pas vingt ans

Je sais ce que je veux. Et surtout, je sais ce que je ne veux pas. Jouer avec lui, jouer avec elle. Au chat et à la souris. J'aime être la proie, j'aime être le prédateur. J'aime souffler le chaud et le froid. J'aime faire croire quelque chose, et puis finalement, non. J'aime voir la mine dépitée de celui qui s'attendait à plus. J'aime, au final, quand ça ne reste qu'un jeu.
Les baisers. Oui, ça commence toujours avec des baisers. Non, en réalité, ça commence par des discussions. De longues discussions de fin de soirées. On a souvent un joint à la main, peut-être un verre aussi. Mais on n'est pas complètement défoncés, non. Juste un peu, histoire de pouvoir dire ce qu'on pense sans rougir. Alors là, facilement, j'amène le sujet qui m'intéresse. Une phrase lâchée comme ça au hasard. Une phrase à double sens, que parfois les autres ne relèvent même pas. Mais si certains la relèvent, alors là, l'effet est assuré. La plupart du temps, c'est sur le mode de l'humour. "J'ai cru que j'allais inonder mon canapé en regardant Lost in Translation, Scarlett est vraiment trop bonne". Et puis, le regard étonné qui se pose sur moi. "T'es homo ?" "Non." "Hétéro ?" "Non." "Ben t'es quoi alors ?" "A ton avis ?" Et là, c'est le début de la soirée pour moi. Le début du jeu.
Après, c'est facile. Les langues se délient, et je ne suis pas la seule à parler de mes diverses expériences sexuelles. Non, le sable, ça n'est pas agréable. Oui, à trois, c'est excitant. Ce genre de phrases toutes faites qui attirent toujours le regard de quelqu'un - et peu importe que ce ne soit pas nécessairement la personne dont j'avais envie ce soir-là.
Il y a alors les petits groupes qui se forment. Souvent deux, trois personnes. Là, ça devient plus simple. Se mettre en valeur, rire quand il faut, sortir les obscénités attendues. Oui, j'aime le sexe, la baise, tout ce qui s'en suit. Oui, pour ce soir, si tu veux baiser, je suis là.
Mais ne jamais lâcher ce côté mutin, innocent. Vous savez, imiter Alizée qui met les hommes en feu sans en avoir l'air. Toujours avoir l'air de s'en moquer, au fond. Moi j'aime ça, mais je m'en fous, si tu ne veux pas me baiser je trouverais quelqu'un d'autre.
Voilà, et là, on en arrive au premier baiser. Peut-être arrive-t-il par un jeu idiot (passer des glaçons de bouche en bouche), ou simplement parce que ça y est, les corps se rapprochent. Là, savoir se montrer farouche mais étonamment disponible à la fois. Laisser sa main vagabonder, monter sous le pull. Peut-être effleurer ses fesses mais vraiment sans en avoir l'air...
Fumer un dernier joint, et puis trouver un lit, un matelas. Être absente et pourtant tellement là. Faire l'amour dans un chambre grande ouverte, à six sur le lit, ou même dans un couloir où les gens passent et se dépêchent de partir, gênés - alors que c'est nous qui devrions l'être. Passer aux toilettes chercher du papier pour essuyer le sperme sur mon visage et sur mon corps. Et puis dormir, dos à dos, et le lendemain, se regarder mais pas trop. Discussion implicite : on ne se reverra jamais, bien sûr, personne n'en a envie et puis ça rimerait à quoi.
Ou alors, entendre quelqu'un nous dire : "en fait, t'es une chaude". Oui. Une chaude, une salope, une pute même. Je baise jusqu'à plus soif, simplement pour trouver un peu de chaleur au fond de mon lit. Est-ce que j'en ai honte ? Est-ce que je veux changer ? Non. Après tout : j'veux plus d'un je m'attache, qui m'ennuie et me fâche, moi j'ai le temps !... car j'aime pas l'habitude, j'aime pas quand ça dure, j'ai pas vingt ans... Et tant pis si je mens.

lundi, mai 29, 2006

Les sucettes à l'anis


Encore. Jusqu'à l'écoeurement, jusqu'à la nausée, jusqu'à ne plus pouvoir rien ingurgiter. Mais encore, resservez-moi, faites déborder mon estomac, mon coeur et mon corps, remplissez-moi, abreuvez-moi, que je n'ai que des goûts délicieux et différents dans ma bouche, que je ne pense qu'à cela qui descend le long de mon oesophage, et finira sa course dans l'endroit le plus intime de mon corps. La satisfaction des sens n'étant que mon seul bonheur, laissez-moi en profiter, laissez-moi me droguer de sucre, de crème, jusqu'à ce que je finsse par dessus la rembarde, à rendre tout ce qui pèse sur ma poitrine. A vomir, vomir, encore et toujours vomir, vomir parce que c'est comme ça que je deviendrais celle que je dois être, pour être peut-être enfin à la hauteur. Que m'importe, qu'on me trouve belle, je veux juste pour une fois ne pas décevoir. Ne surtout pas décevoir, après tous ces gens que j'ai déçus. Après tous ces gens qui m'ont regardée, nue, m'ont vue me lever, et ont décrété que je ne valais rien, rien sans mon apparat, rien sans tout ce faste qui cache la vérité. Ma vérité.
Encore quelques gouttes de vin. Encore un peu de vodka, s'il vous plaît. Que j'aille au petit matin fumer des joints dans un pure morning entêtant, plus jamais entourée de ceux que j'ai aimés. Je vais les fumer seule, ces joints, ceux qui étaient jadis avec moi sont partis. M'ont abandonnée alors que je vomissais pour la cent soixante et unième fois. M'ont laissée là, choir, parce que si moi je ne veux pas m'en sortir, personne ne le peut pour moi. Arrête de t'écoeurer, arrête de boire, arrête de fumer, tu te fais du mal. Il n'y a plus que ça qui compte, être écoeurée de tout, de vous, de pâtisseries, et puis de sexe aussi, quand certains me font la charité de bien vouloir de moi. Je n'ai pas l'air mais je les supplie. Sois juste assez bourré pour te dire qu'après tout, tu peux bien te la taper, la blonde vraiment trop commune, mais pas trop pour ne pas te retrouver impuissant devant son corps désarticulé. Fais semblant de l'embrasser et d'aimer ça. Embrasse-moi encore un peu. Et essaie, si tu y penses, à me dire au revoir demain matin, avant de prendre la fuite, une main sur ta migraine, une grimace de dégoût en voyant qui a partagé tes draps.
Redonnez-moi un gâteau, encore un, que je pimenterais avec du champagne. Plusieurs coupes de champagne. Ne m'aidez pas, ne m'aidez plus si je vacille. Après tout, je tombe, et puis ça n'est pas bien grave. Mais servez-moi, resservez-moi, aidez-moi à être tout ce que je ne suis pas. Vous ne trouvez plus ça drôle, de me voir tanguer, de me voir draguer tous ceux qui me repoussent ? Vous ne trouvez plus ça drôle quand je pars aux toilettes rajouter un peu de poudre à mon nez ? Vous aimiez ça, avant. Vous aimiez cette fille trash et puis si joyeuse avec un coup dans le nez.
Ca a arrêté de vous faire rire. Mais à quel moment ? Quand vous avez aperçu que c'étaient mes doigts et pas l'alcool qui me faisaient vomir ? Quand vous vous êtes rendus compte que ce n'était pas que de l'alcool qui coulait dans mes veines ? Quand vous avez vu, alors que j'étais trop ivre pour réagir, ma jupe remonter et les cicatrices sur mes jambes ?
Vous avez eu peur. Vous avez fui. Vous avez eu raison. Et je reste là, seule, au petit matin, in the cold light of morning, à fumer mes joints, à me demander qui voudra bien finir sa soirée dans mon lit, qui voudra bien toucher ce corps non cicatrisé et proche de l'inertie.

vendredi, mai 19, 2006

Rien que d'y penser


Lola. Ca y est, je me rappelle son prénom. Lolita. Lola. Voire Lo pour ses amies. Mais comme je n'ai jamais été son ami, je ne l'ai jamais appelée comme ça. Et je pense pouvoir dire qu'au fond, elle avait peu d'amis, et que ce diminutif n'a finalement été que très peu usité.
J'ai malgré tout du mal à croire que ce soit la même fille. Celle que je vois en face de moi est grande, incroyablement bien faite, avec des jambes si longues qu'on en perdrait la raison. Ses yeux diabolo menthe (et pas menthe à l'eau, il y a toujours eu bien trop d'étincelles dans ses yeux pour les comparer à cette boisson plate) rayonnent, cerclés de noir. Un petit diamant brille au-dessus de sa lèvre supérieure, et la fait scintiller à chaque sourire. Sourires dont elle n'est pas avare. Son débardeur laisse entrevoir les bretelles d'un soutien-gorge noir, noir comme ses talons hauts, foncé comme cette jupe rouge sang qui virevolte à chaque pas. Cette femme-là est une bombe, purement et simplement - alors que la Lolita dont j'ai le souvenir ne se défaisait pas de sa maigreur et de ses pulls à col roulé informes, trop grands. Ses yeux semblaient trop grands pour son visage si fermé. Ses cheveux n'étaient jamais aussi bien coiffés que ce soir ; ses ongles rongés ; sa démarche hésitante. Non, plus j'y réfléchis, plus je me dis que ça ne peut pas être cette créature excitante que j'ai connue au lycée.
Et pourtant... pourtant l'affolante blonde se retourne lorsqu'on l'appelle Lola. Les deux images ne peuvent se superposer pourtant... J'ai envie d'elle, autant que j'étais dégoûté à la simple idée de toucher l'ancienne Lola. Dire qu'elle m'avait déclaré sa flamme à l'époque. J'avais eu mal pour elle, qui espérait sans doute que j'allais m'intéresser à sa personne... Mais bref, tout cela est passé, et bien révolu, car je n'aurais jamais pu ignorer une telle femme.
Je m'approche d'elle en zigzagant entre les couples qui dansent, et la salue. Elle se retourne, et je vois bien pendant une seconde une lueur d'étonnement. Lueur qu'elle éteint immédiatement, et à mon grand désarroi, son visage se ferme. Son "bonjour" est laconique, voire méprisant. Bêtement, je ne sais qu'ajouter : "Ca fait un bail, hein ?" Elle ne se déride pas et murmure un "oui" étouffé.
Là, je dois avouer, je suis bien emmerdé. Bien emmerdé parce qu'elle me plaît beaucoup. Et tous les garçons lui tournent autour depuis qu'elle est arrivée, lui apportant sans arrêt un nouveau verre d'alcool, afin de la rendre patraque. J'ai vraiment envie d'elle, là, tout de suite. Et son attitude aguicheuse me laisse penser que, peut-être, qui sait...
Mais c'est toujours le même visage serré qui se présente quand je m'approche. Je tente le tout pour le tout. "Alors dis-moi, toujours fou de moi ?" (référence à une chanson de Zazie qu'elle m'avait écrite sur un papier pour me dire qu'elle m'aimait). Elle se retourne assez violemment. Je sens de l'électricité dans son regard. Après tout, il vaut mieux une bonne colère que son mutisme. "T'aimerais bien, hein ?" Ah. Ce n'est pas de la colère dans sa voix, mais... de la sensualité. Qui aurait cru que ce fût si facile d'arriver à ses fins ? "Ma foi, oui, ça me plairaît beaucoup". Elle sourit. Premier sourire qu'elle m'adresse de la soirée. Elle me chuchote alors à l'oreille : "viens". Et se dirige vers les toilettes de cette salle de fête.
Lola ferme la porte à clef et sans un mot, déboutonne mon pantalon, baisse mon caleçon, et commence à me caresser. Je ferme les yeux et m'abandonne au plaisir... mais c'est alors qu'elle s'arrête. Un peu vexé, je rouvre les yeux, et là elle rit de mon air agacé. "Tu ne crois quand même pas que je vais me contenter de te sucer sans prendre mon pied". Bon. Elle a plutôt raison là. Ni une ni deux, je sors un préversatif que j'enfile, et je lui retire sa culotte (tiens, pas même un string), sans prendre la peine de dégrafer sa jupe. Elle ne semble même pas surprise par ma violence, ma rapidité. Son regard laisse sous-entendre un je-ne-sais-quoi de triomphant... mais en attendant, petite salope, moi je te baise comme j'en rêve depuis le début de la soirée. Elle n'essaie pas de bouger, de prendre du plaisir ; elle subit simplement mes coups de reins, sans aucune expression de dégoût ou de plaisir. Elle est frigide peut-être. Mais alors pourquoi ?... Toutes ses questions me traversent l'esprit alors que, doucement, je me dirige vers la jouissance. Qui se fait imminente. Qui...
"Lâche-moi, gros porc". Elle vient de se dégager en me poussant brusquement. Je suis là, avec tout mon orgasme qui ne demande qu'à déferler, et elle se casse. Elle remonte sa petite culotte, et je comprends alors cet air de triomphe. La pute. Elle avait dû tout préméditer. Elle ne sourit même plus. Elle reprend son souffle, essaie de dominer ses cheveux partis sans tous les sens, qui se colle à sa peau moite de sueur. "Tu vois, connard, tu vois ce que ça fait quand quelqu'un se fout de ta gueule. Spécialement quand c'est quelqu'un dont tu attends beaucoup. Ca fait chier, hein, dis-le-moi que ça te fait chier !" Elle hurle presque, hystérique qu'elle est. J'essaie de me faire menaçant, même si je sais que je suis ridicule avec ma queue à l'air et mon pantalon que je n'ai aucune envie de remonter : "tu vas finir ce que t'as commencé, espèce de salope. Tu vas venir finir ça !" Pour toute réponse, elle brandit son majeur et explose : "va te faire mettre".
Elle sort alors des toilettes, et me laisse là, excité et terriblement frustré. Ne plus jamais croire que les chenilles transformées en papillon n'ont pas de mémoire.

jeudi, mai 11, 2006

Like a virgin


Elle remonte sa culotte en-dessous sa robe, debout sur un terrain de foot trop grand, sans trop savoir où elle est, pourquoi elle y est. Une nuit d'amour s'est soudain transformée en une simple nuit de sexe. Et elle n'y comprend rien. Juste rien.
Ce n'était pas ça qu'elle avait imaginé, pourtant. Elle avait imaginé qu'il serait là, quand elle se réveillerait dans l'herbe. Qu'elle n'aurait pas à se rhabiller seule, comme lasse... Elle s'imaginait déjà voir son visage au petit matin. Peut-être qu'il l'aurait regardée se rhabiller rapidement ; elle se serait cachée un peu, mais il lui aurait dit : "t'es un vrai canon", et alors elle aurait souri. Il l'aurait embrassée, comme si c'était pour sceller un pacte à jamais. Elle serait sentie drôlement bien.
Mieux... mieux en tout cas que dans ce taxi qui sent la cigarette de la nuit. Il ne lui parle pas, encore heureux. Mais il a deviné, sous ses airs tristes et froids, qu'elle avait eu la plus grosse déception de sa vie cette nuit-là. Et alors, peu importe les parents et leurs cris ; peu importe les reproches de ses soeurs punies à cause d'elle ; peu importe les disques de rock qu'il faut jeter. Tout ça, ce qu'elle s'en moque. S'il avait été là ce matin au réveil, elle aurait même donné son âme pour conserver ce moment-là pour toujours.
Mais il n'était pas là. Et elle doit subir le courroux des parents, de la famille ; le mépris du voisinage, tout ça... pour une nuit de sexe. Une nuit de sexe pour un garçon de plus qui ira raconter qu'elle est une fille facile. Alors que c'était sa toute première fois, et que c'était à lui, rien qu'à lui qu'elle voulait réserver ce moment. De la baise, elle aurait pu en avoir par charrettes entières, sans avoir à mentir à ses parents, sans avoir à passer la nuit dehors : hop, vite fait derrière le lycée, avec un des très nombreux gamins qui lui couraient après. Ce n'était pas ça, pas ça qu'elle voulait. Pas avec lui...
Ne dit-on pas qu'il faut guérir le mal par le mal ? Alors elle n'aura que ça, de la baise, des coups vite faits, et puis surtout mal faits, avec n'importe qui, des garçons sans importance, moches ou beaux peu importe... peu importe parce que le seul à qui elle voulait se donner a fait de son corps une marchandise. Elle ne sera plus que ça, pour tous ceux qui veulent bien d'elle, de son regard vague et vide après l'amour, de sa cigarette dont elle n'avale pas la fumée, parce qu'au fond elle n'aime pas ça. Pas plus que leurs corps avides sur le toit d'une maison trop surveillée, pas plus que de sentir sur son corps des mains étrangères. Mais tant pis elle s'habitue... elle s'habitue, mais se demande si c'est sale. "Est-ce que c'est sale ce qu'on vient de faire ?" Parce que plus ce sera sale, plus elle sera satisfaite.
Et moi j'ai comme la gorge nouée quand j'écoute Air... car Lux, c'est moi, et manifestement je sais ce que c'est que d'être une fille et d'avoir treize ans.

dimanche, avril 30, 2006

Ecarlate


Malgré son prénom, c'est moi qui suis devenue rouge écarlate. Pivoine, dit-on parfois. En tout cas, mes joues chauffaient drôlement, et ce n'était sans doute pas pour rien. Elle était pourtant assez loin de moi, mais je l'aurais reconnue entre milles. Son prénom était gravé dans ma tête pour l'éternité : Scarlett. On imagine tout de suite plein de choses rien qu'en entendant ce prénom. On imagine des joues rosies, un air timide. On imagine une héroïne d'un autre temps, d'un roman ou d'un film, peu importe : déterminée et travailleuse, peut-être un peu capricieuse, mais prête à s'effondrer dans les bras d'un Rhett grand et fort.
Elle n'était pas de celles-là. Je crois même pouvoir dire qu'elle n'avait rien à voir avec ce que son prénom pouvait laisser entendre, mais dès qu'on la regardait, elle n'aurait pas pu s'appeler autrement. Tout ce qui nous passait par la tête en entendant Scarlett s'effaçait dès qu'on la voyait : elle n'avait rien à voir avec ce qu'on imaginait, mais finalement, elle seule correspondait à ce prénom. En avait-elle même conscience ?... En tout cas, à ce moment précis, elle songeait à autre chose. Ses joues étaient roses elles aussi - mais pas à cause de son prénom ou du maquillage. Elle était complètement furieuse face au directeur de l'hôtel, qui avait beau lui répéter quelque chose à propos d'une chambre qui serait la même ou je ne sais quoi, elle s'en moquait. Elle s'en moquait et elle le réprimandait sévérement, visiblement très en colère. Ca n'enlevait rien à son sex-appeal, bien au contraire : elle semblait même s'épanouir dans la colère, devenir encore plus belle. Parce qu'elle n'était plus belle à présent, non... elle était pire. Bien pire.
Lassée sans doute de ce dialogue de sourds, Scarlett finit par se diriger vers le bar, sans un regard pour les gens alentour - sans un regard pour moi. Moi qui bouillais. Moi qui étais trempée de sueur, trempée tout court. J'avais le souffle agité, je n'arrivais que difficilement à déglutir. Scarlett... juste là, avec ses longs cheveux blonds qui s'agitaient dans son dos, son doux visage rond et pourtant tellement classieux. Et surtout, surtout, ses lèvres. Ses irremplaçables lèvres. Les plus belles que j'aie jamais vues. Je ne pouvais détacher mes yeux de cette bouche si sensuelle... et non, pas sensuelle. Sa bouche était au-delà. Je pense même pouvoir dire que ses lèvres étaient complètement sexuelles, demandant, criant quelque chose à embrasser, à lécher. Ses lèvres-là étaient faites pour l'amour... et quel amour !
Mais je me forçai à regarder son corps. Je ne pouvais pas rencontrer Scarlett et ne regarder que ses sublimes lèvres. Je devais tout voir d'elle, tout absorber, pour pouvoir m'en rappeler lors de mes plaisirs nocturnes. Je fus frappée par ses seins. Une fois de plus, frappée par la beauté, la grâce qui en émanaient. Ils étaient ronds et pleins, et je n'avais qu'une envie, les prendre dans mes mains. Ce joli corps sensuel, formé de rondeurs et de volupté, me rendait folle. Littéralement folle. Je devais aller la voir. Je ne pouvais pas rester là, sans rien dire.
Je m'assis à côté d'elle. Elle sirotait un Martini, sans doute blasée par la scène qu'elle venait de faire. Elle ne m'adressa qu'un rapide coup d'oeil, tellement loin de moi, tellement plus haut. Alors, j'osai lui proposer de lui offrir un verre. Banal. Elle avait dû en entendre des centaines. Et en plus, prononcées par des hommes sexy et virils. Mais son regard était curieux, il ne me jugea pas. Elle acquiesça en silence, et sembla attendre que je remplisse la conversation. Je ne savais pas quoi dire. Quoi lui dire, à part qu'elle m'excitait terriblement, et que si je le pouvais, je l'embrasserais là, devant tout le monde, au péril de mourir de bonheur et de volupté. Mais comme mes phrases tardaient à venir, elle me demanda tout de go : "Do you have a room here ?" Je ne sus que hocher la tête, étonnée par sa question, et alors elle jeta quelques billets sur le zinc et me demanda de l'y conduire.
J'étais abasourdie. Cette splendide femme, cette créature à peine humaine tant elle était sexuelle acceptait de venir dans ma chambre ? Me l'avait même demandé ? Je n'y croyais pas, mais je dus me rendre à l'évidence lorsqu'elle me laissa appuyer sur le bouton de l'ascenseur afin de rejoindre ma chambre. Sa démarche était naturelle, un peu ondulante. Elle n'essayait pas particulièrement d'être sexy, mais elle l'était. Terriblement. Et elle ne disait rien. Le silence était roi dans cette cage suspendue au-dessus du sol, nous menant jusqu'à la chambre 412. Elle attendit patiemment que je tourne la clef, et s'engouffra dans la pièce, et retira sa veste. Elle s'assit, puis commença à enlever son débardeur, sa jupe, ses chaussures. En une minute à peine, elle était à moitié nue devant moi, étendue sur mon lit, m'invitant d'un sourire diabolique à la rejoindre.
Je tremblais, mais j'y allai malgré tout. Gauchement, je retirai également les quelques vêtements superflus que j'avais sur mon corps. Et c'est elle qui m'embrassa. Qui prit mes lèvres entre les siennes. Entre ses deux lèvres si sexy. Le terme petite mort est bien faible pour exprimer ce qu'alors je ressentis... Elle me regarda, et rit. "You're scarlet. Like me."