jeudi, septembre 14, 2006

Would you like to try ?

Ma dancing queen était petite. Petite, mais pas frêle : musclée, voire imposante dans sa manière de se tenir. Elle savait ce qu'elle valait. Et puis, elle aurait eu bien tort de l'ignorer.
Elle me racontait des histoires qui m'emmenaient jusqu'au bout de la nuit. L'histoire d'une jeune femme sur la piste de danse qui avait plein de secrets à raconter, mais qui dansait, encore et toujours, jusqu'à ne plus tenir debout, jusqu'à être raccompagnée par n'importe qui (le n'importe qui qu'elle laissait à la porte, ayant repris ses esprits au contact de la réalité de son monde). J'ai souvent cru que c'était d'elle dont elle me parlait lorsqu'elle se laissait aller à me chuchoter ce genre de choses. Je n'ai jamais vraiment bien su, parce qu'elle savait garder le mystère, garder le contrôle surtout.
Et puis il y avait les soirs où elle se mettait sur son trente-un et me hurlait qu'on devait sortir, aller se déhancher sur la musique qui faisait que les gens se réunissaient tous. Qui faisait qu'on n'était plus qu'un alors, plus qu'une unité, tous différents mais tous ensemble. Je la revois encore, parfois habillée tout en cuir et fredonnant qu'elle allait rencontrer son futur amant, ou alors chantant quelque texte hébraïque alors qu'elle se drapait de vêtements arabisants.
Elle avait une telle volonté, une telle envie d'être reconnue. Et puis tout le monde la reconnaissait d'ailleurs. Je me rappellerais toujours de l'énorme sourire qu'elle avait sur le visage lorsqu'elle entrait dans la boîte et que les gens, la reconnaissant, l'appelaient par son prénom : tout son être s'illuminait d'être le centre d'attention, d'être enfin à la hauteur de ses espérances. Mais je crois que finalement, son entrée de star était bien peu de choses comparée à la façon qu'elle avait de déchaîner la foule rien qu'en bougeant au son de la musique des dancefloors. Elle connaissait tout par coeur, des chansons qui parlaient des amours de vacances en Espagne aux chansons qui criaient leur amour pour une ville. Parfois, bien sûr elle chantait faux, épuisée, mais jamais elle ne s'arrêtait.
Il lui arrivait, bien sûr, de s'arrêter un peu, le temps de bouger lentement sur un slow. Elle en profitait pour parler à ceux qui l'admiraient du coin de l'oeil, leur demander d'où ils venaient, leur dire parfois son point de vue sur le monde et la politique. Ma dancing queen était si volontaire alors, si sûre d'elle... parfois on se serait cru à un meeting tant sa force de persuasion était forte.
Elle m'amusait beaucoup. D'un coin de la salle, j'aimais la voir jouer au cheval sur un garçon, se déhanchant de manière bien évidemment totalement incorrecte. Tellement de sex-appeal, tellement de sensualité. Rien que ses yeux donnaient envie d'embrasser sa bouche et ses dents du bonheur.
Mais bien sûr, ses soirées-là elles aussi avaient une fin. Après un dernier tour où elle imitait John Travolta dans Saturday Night Fever, elle nous disait au revoir et repartait, laissant derrière elle un goût d'inachevé, une soudaine envie de la revoir, de réussir peut-être à la toucher ou à mieux la connaître... me laissant seule, même si c'était moi qui l'avais accompagnée à l'aller...
Le lendemain, elle me rappelait, et commençait pratiquement toujours la conversation par : "Est-ce que tu t'es confessée ?" Et puis elle riait et parfois, repartait dans ses histoires de jeunes femmes sur les pistes de danse, esseulées et puis pleines de vie, à danser comme pour sauver leur peau.
C'était bien sûr d'elle-même qu'elle parlait mais je n'ai jamais voulu me l'avouer, par peur d'être passée à côté. C'était toujours elle qui décidait quand on se verrait, toujours elle qui, finalement, venait à moi. Et malgré mes illusions, j'ai toujours su qu'elle se démenait sur les pistes de danse pour autre chose que pour moi, pour autre chose que nous tous - mais quoi ? Je n'ai jamais pu l'apprendre, et pourtant, elle avait tant de choses à me raconter...
Queen of the universe - 30.08.06